[Lis] Oscar et la dame rose, Eric-Emmanuel Schmitt

Helen Mirren

Il n’y a que très peu de facteurs qui peuvent se dresser entre un bon livre et moi… Et chacun d’eux est lié à l’un des préjugés de lectrice dont j’essaie tant bien que mal de me défaire.

Le premier est mon injustifiable réticence à l’égard de la littérature francophone. Je l’admets, je suis plus facilement séduite par la prose délicieusement exotique des auteurs anglo-saxons. En seconde place se trouve mon incorrigible méfiance à l’égard des ouvrages universellement acclamés. A mes yeux, rien n’est plus suspect qu’une oeuvre qui plaît à tout le monde!

Pour ces raisons, Oscar et la dame rose n’avait pas la moindre chance de me tomber un jour dans les mains… Et pourtant, près de quatorze ans après sa date de publication, le miracle s’est finalement produit!

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Oscar a dix ans et il vit à l’hôpital. Même si personne n’ose le lui dire, il sait qu’il va mourir. La dame rose, qui le visite et qui croit au ciel, lui propose, pour qu’il se sente moins seul, d’écrire à Dieu. Voici les lettres que le garçon lui adresse. 

Elles décrivent douze jours de la vie d’Oscar, douze jours cocasses et poétiques, douze jours pleins de personnages drôles et émouvants. Ces douze jours seront peut-être les derniers. Mais, grâce à Mamie Rose, qui noue avec Oscar un très fort lien d’amour, ils seront certainement inoubliables.

 

Comme vous vous en doutez désormais, je ne m’attendais pas franchement à apprécier les aventures d’Oscar. Je craignais un enchaînement de poncifs, mâtinés de bons sentiments, avec une fin tire-larmes comme je les déteste. En réalité, et à mon grand étonnement, ce petit roman de moins de cent pages n’a pas usurpé l’estime universelle qui semble lui être portée.

Helen Mirren interview

Oscar ne ressemble pas aux gamins des collectes de fonds télévisées, ceux qui, impassibles et courageux, affrontent la mort avec une sérénité qu’envient leurs aînés. Espiègle et turbulent, il entre en guerre contre les adultes et la pitié qu’ils témoignent à son égard. Le changement qu’il observe dans le regard de ses parents, en particulier, le consterne au plus haut point. Aux yeux de tous, il est désormais un martien, et qui n’en a plus pour très longtemps de surcroît.

C’est alors qu’il croise la route de Mamie Rose, une visiteuse d’hôpitaux qui tient son surnom de son âge avancé et de la blouse qu’elle porte et qui la différencie du personnel infirmier. Hormis ses évidentes qualités d’écoute, cette dernière surprend Oscar par son caractère irrévérencieux, ses folles anecdotes de jeunesse et sa façon de le traiter comme un être humain à part entière.

Loin de le dorloter ou de chercher à l’épargner, Mamie Rose n’hésite pas à le bousculer pour l’inciter à vivre chaque jour comme le dernier. Avec une subtilité qui lui est propre, elle soumet à Oscar des questionnements sur le sens de la vie, mais aussi sur celui de la souffrance et de la mort. En une douzaine de jours, et presque autant de lettres, ils mènent ensemble un parcours initiatique aussi accéléré que bouleversant.

Pour autant, l’ouvrage n’a rien d’une tragédie. L’humour sans concession d’Oscar et le franc-parler de la dame rose apportent au roman autant de spontanéité que de légèreté.

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Ce sont ces qualités, et tant d’autres, que j’espérais retrouver dans le film de 2009, réalisé par Eric-Emmanuel Schmitt en personne. Toutefois, si le roman m’a positivement étonnée, mon sentiment à l’égard de cette libre adaptation est diamétralement opposé.

Bien que certaines trouvailles scénaristiques, telles que l’utilisation des ballons de baudruche, m’aient séduite, j’ai trouvé l’immense majorité des modifications apportées à l’intrigue vides de sens. Pourquoi métamorphoser la tendre Mamie Rose en une quadragénaire désabusée, acerbe et colérique? Et surtout: pour quelle raison faire de ce personnage, curieusement remanié au point d’en être dénaturé, l’héroïne de l’histoire… quand tout son intérêt est d’être racontée depuis le point de vue d’un enfant de dix ans?

Dans cette version cinématographique burlesque et dépourvue de nuance, les non-dits s’effacent et la magie n’opère plus. L’essentiel du roman m’est apparu dilué dans une mise en scène grandiloquente et un surjeu permanent de la plupart des acteurs. Seul Amir Ben Abdelmoumen, d’un naturel désarmant, fait honneur à son alter-ego de papier.

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En conclusion, si vous faites partie des rares lecteurs à ne pas encore avoir cédé au charme d’Oscar, ne résistez pas davantage! En ce qui concerne le film, par contre, il ne mérite définitivement pas que l’on s’y attarde!

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[Lis] Mary, Emily Barnett

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Bonjour, chers lecteurs! Je le reconnais: mon rythme de publication a connu des jours meilleurs… Néanmoins, me voici avec un nouvel article littéraire consacré à un roman de 2015 intitulé Mary. 

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Mary est une adolescente des années 2000, qui vit recluse avec sa mère dans un château. C’est aussi une jeune Américaine expatriée à Paris au début des années 50, mariée à un designer. Quels liens secrets entretiennent ces deux femmes ? Comment le Maccarthysme des années 50 peut-il contraindre mentalement une jeune fille d’aujourd’hui ?

De l’enfance sauvage aux atermoiements amoureux d’une femme dans le New York d’après-guerre, Mary sonde les thèmes de l’adultère, de la maternité et de la filiation.

Un premier roman à la forme soignée et maîtrisée qui emprunte à la Rebecca de Daphné du Maurier et aux romans de Laura Kasischke.

En dépit de la date de publication de cet ouvrage, c’est en bouquinerie que je l’ai découvert. Le résumé m’avait séduite par son évocation des années 1950 et de destins de femmes se répondant mystérieusement. La comparaison avec l’oeuvre de Daphné du Maurier avait indéniablement achevé de me convaincre… Et pourtant… Tout, dans cette quatrième de couverture, s’est avéré trompeur.

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Bien sûr, nous suivons effectivement deux Mary, mais si l’une évolue en 52 et 53, la seconde Mary n’est, elle, pas immédiatement située dans le temps. Rien ne la rattache à notre société actuelle et j’aurais aimé que l’on permette au lecteur de conserver ce doute même si, à bien y réfléchir, il viendrait s’ajouter à un récit déjà par trop sibyllin.

En effet, cette Mary contemporaine, manifestement frappée d’un désordre mental, sème des phrases obscures, entrecoupées de propos hallucinatoires et d’ellipses incessantes. Une galerie de personnages, que l’on ne nous présente jamais, crée, de surcroît, un climat inquiétant. L’écriture, dérangeante, frôle l’illisibilité et provoque un profond malaise chez le lecteur. J’ai failli définitivement refermer le roman.

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Ce qui m’a toutefois encouragée à poursuivre ma lecture, ce sont les chapitres prenant place dans le passé. Outre leur style rédactionnel significativement plus fluide, leur construction, basée sur une anticipation, a éveillé mon intérêt.

Les relations s’établissant entre les deux jeunes femmes, qui passent quelquefois pour des coïncidences, qui dressent, en d’autres occasions, des parallèles plus troublants, représentent l’autre atout de ce roman.

Mary n’est pas un mauvais livre, mais j’en garderai un souvenir mitigé… ainsi qu’une certaine rancœur à l’égard de l’éditeur, qui m’avait promis Rebecca et m’a laissée avec un ouvrage inégal, bien éloigné de mes attentes.

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[Lis] Un roman anglais, Stéphanie Hochet

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Bonsoir à tous! J’ai mis mes quelques jours de congé à profit pour lire davantage que d’ordinaire et je suis donc particulièrement heureuse de pouvoir vous proposer des articles littéraires aussi rapprochés. Celui-ci sera consacré à un titre paru au printemps dernier: il s’agit d’Un roman anglais, de Stéphanie Hochet.

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Inspiré de la vie de Virginia Woolf, ce roman campe avec beaucoup de subtilité et de maîtrise l’atmosphère très particulière qui régnait en Angleterre pendant la Première Guerre mondiale.

Ce roman d’émancipation féminine est aussi un roman sur la maternité. On y voit Anna, bourgeoise lettrée du Sussex, mère d’un petit garçon de deux ans, Jack, persuader son mari Edward d’embaucher par petite annonce une garde d’enfant prénommée George (comme George Eliot, pense-t-elle).

Le jour où elle va chercher George à la gare, Anna découvre toutefois qu’il s’agit d’un homme.

Dès les premières lignes, j’ai été charmée par ce roman, dont la sobriété étudiée retranscrit sans emphase les sentiments d’une narratrice en proie au doute. Anna éprouve en effet des difficultés à se situer en tant que femme. Ainsi, la question du droit de vote, en particulier, lui pose question et il est difficile d’établir si l’attitude des suffragettes la fascine ou la consterne.

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C’est également en tant qu’épouse et en tant que mère qu’elle ignore comment se comporter : si elle déborde d’amour pour son fils, elle ne peut dissimuler son étonnement face au prétendu bonheur inconditionnel que la maternité était supposé lui apporter.

Prise entre deux époques, entre guerre et paix, puis entre deux guerres, Anna est l’archétype de la femme déchirée, qui ne peut s’inspirer de son expérience familiale pour savoir comment agir. Elle ne garde qu’un souvenir brumeux d’une mère inconsistante, partie trop tôt, et demeure marquée par une relation ambiguë avec son père, être autoritaire dont la violence semble être restée contenue.

Anna se retrouve dès lors perdue, dans une société qui improvise sa reconstruction et paraît soudain exiger d’elle qu’elle mène une carrière ambitieuse, soit une mère exemplaire et agisse en citoyenne engagée. Son combat intérieur entre en résonance avec l’évocation de ceux qui éclatent dans les tranchées et privent les familles de leurs membres les plus jeunes, les plus sains.

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Pourtant, de prime abord, les apparences la dépeignent comme menant une vie bourgeoise, résolument conforme aux convenances de la société anglaise. C’est l’arrivée, foncièrement inconvenante, d’une gardienne d’enfant de sexe masculin qui chamboule son existence et la fait sortir de ses rails. Ce moment opère un basculement irréversible, qui modifiera la dynamique familiale de manière indélébile.

George, jeune homme délicat, presque éthéré, rétablit toutefois une forme d’équilibre grâce à sa personnalité altruiste, miraculeusement apaisante. Seul Edward, personnage obscur, rongé par l’orgueil et une envie mal placée, reste insensible à son caractère bienfaisant.

Aux yeux d’Anna, cependant, George incarne l’unique repère, dont son bien-être, voire sa santé mentale, dépendent désormais. Au moindre accident de parcours, elle semble prête à verser dans un absolu désespoir.

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Stéphanie Hochet parsème son roman de multiples références littéraires, démontrant l’érudition de sa narratrice qui a grandi dans la bibliothèque paternelle et éveillant notre envie de découvrir à notre tour les auteurs évoqués. J’ai particulièrement apprécié l’insertion d’un poème, en version originale, d’Emily Dickinson. Des expressions en langue anglaise émaillent, par ailleurs, le texte et l’enrichissent par leurs sonorités étrangères.

La plume de l’auteur témoigne d’une langue belle et précise, dont la modernité est aussi riche que limpide. J’ai lu ce bref roman en un seul souffle, tant j’ai été séduite par son écriture et touchée par le parcours de vie d’une héroïne qui n’est pas sans rappeler un écrivain que j’apprécie particulièrement, Virginia Woolf.

Je ne peux que vous recommander d’ouvrir sans tarder Un roman anglais. Quant à moi, j’inscris tous les ouvrages de Stéphanie Hochet sur ma liste de souhaits!

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