[Lis] Le chat qui disait cheese, Lilian Jackson Braun par Le Vert Lisant


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  Si Lilian Jackson Braun ressemblait à ses quelque trente romans dont les titres commencent tous par : Le chat qui…, ce devait être une dame agréable et charmante, car ses romans sont tous agréables à lire et il s’en dégage un certain charme aimable. Ce sont des romans policiers, on y trouve quelques crimes, et l’un ou l’autre cadavre mais l’enquête est, apparemment, plus que discrète. Ce qui importait à l’auteure, semble-t-il, c’est de donner une parfaite illusion de vie à Pickak, une sympathique bourgade imaginaire, et à des personnages de fiction, et ce, pour notre plus grand plaisir.

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        Cet automne, le comté de Moose – à 600 kilomètres de partout – est en effervescence : on y prépare une « grande expo gastronomique » qui promet ; bien plus, les gens de Pickak sont très intrigués par la présence d’une femme habillée en noir qui est descendue dans le « Nouvel hôtel », le seul établissement de la ville qui, faute d’entretien, s’est considérablement détérioré ; l’endroit est certes propre et convenable, mais de mémoire d’homme, personne n’y a séjourné plus que deux nuits. Ajoutez à cela un réceptionniste refusant de dire qui elle est ! Le mystère n’en devient que plus piquant.

        Pendant ce temps-là, Qwilleran, Quill pour tout le monde, achève d’écrire sa rubrique bihebdomadaire que publie le journal local : Quelque chose du comté de Moose. Quill était journaliste lorsqu’il hérita d’une fortune colossale ; il en confia la majeure partie à un fonds chargé de soutenir des projets intéressants : rénover une maison historique du comté, financer un projet commercial prometteur, agrandir la bibliothèque de Pickak… Lui-même vit dans une grange hexagonale qu’il a fait entièrement moderniser et c’est le personnage principal des trente romans. Enfin, presque, car il faut ajouter ses deux subtils chats siamois : Koko et Yom-Yom, des chats qui savent quand le téléphone va sonner ; qui peuvent dire quand Quill va partir et quand il revient ; qui ne se nourrissent que de mets de choix, après que Quill leur a lu le contenu de la boite ; qui adorent qu’on leur fasse la lecture, avec une prédilection pour Aristophane ; et surtout, surtout, dans chaque roman, qui sèment derrière eux des indices, à interpréter, destinés à démasquer le criminel.

         Quill, en quête de sujets pour sa chronique, se décide à aller interroger monsieur Limburger, le propriétaire de l’hôtel, un vieil homme peu amène et avare, avec l’espoir qu’il en sache plus sur la mystérieuse dame en noir. Non seulement l’homme est désagréable, mais quittant Quill pour chasser, dehors, un chien, il trébuche et tombe. Un jeune homme, Scotten, qui vient régulièrement aider Limburger, appelle l’ambulance. Quill et lui font connaissance : il s’occupe de ruches et vient d’être engagé comme mécanicien dans un élevage de dindes. Le propriétaire, un ami de Quill, vante les qualités du jeune homme. Deux sujets à exploiter pour de futures chroniques ?

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         Et voilà, tout est prêt pour l’intrigue policière ; ne manque plus que l’élément déclencheur. Une bombe explose dans la chambre 102 de l’hôtel, tuant un membre du personnel. C’est la chambre qu’occupait la dame en noir. Celle-ci, illico, prend un taxi pour l’aéroport, monte dans un avion et disparaît, sans laisser d’adresse. Le commissaire ne tarde pas à apprendre (et à révéler à Quill) qu’un homme s’est présenté à la réception avec, à la main, un bouquet de fleurs qu’il venait d’acheter et un paquet, un cadeau disait-il, qu’il tenait, absolument – il insistait – à déposer dans la chambre de cette dame.

          Bien qu’il garde à l’esprit l’enquête policière, Quill mène une vie sociale importante : coups de téléphone, visites de courtoisie où l’on retrouve des personnages – sympathiques –  des romans précédent. Il cherche, aussi, à savoir qui a dérobé le précieux livre de recettes d’Iris Cobb (une amie de Quill, décédée dans un roman précédent, elle flirtait un peu avec lui, fine cuisinière elle avait noté ses recettes dans un cahier que l’on souhaiterait publier) et surtout, comment le récupérer. Et puis, l’exposition a occasionné l’ouverture de magasins dont l’un présente une belle offre de fromage. Le préféré de Quill est le gruyère, des chats aussi qui ne ratent pas l’occasion pour tenter, en douce, de chiper quelques morceaux. Qui plus est, c’est dans sa grange, où Koko et Yom-Yom vont s’illustrer, qu’a lieu une mémorable dégustation de pas moins de 24 variétés de fromage.

         Quill est, aussi, membre du jury appelé à déguster des pâtés, objets d’un concours. Le choix du meilleur prête à des discussions animées et amicales. Enfin l’on met aux enchères des billets, chacun donne droit à un dîner en tête à tête avec la personnalité correspondante. Il obtient la mise la plus élevée.

         Pendant ce temps-là, les chats mènent une activité fébrile en relation, bien évidemment, avec l’explosion criminelle ; leur passion pour le gruyère constitue, bien évidemment, un indice à ne pas négliger.

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         Enfin, alors que retentissent les explosions du feu d’artifice qui clôture les festivités, Koko se met « à hurler à mort », signe qu’un drame vient de se produire. C’est un crime qui vient d’être commis : le fleuriste, resté dans sa boutique (un témoin gênant pour l’assassin), vient d’être tuer à coups de pistolet. Une autre victime s’ajoute, bientôt, à la liste : Scotten découvre que le pêcheur à qui il a loué son cabanon est décédé, empoisonné par une multitude de piqûres d’abeille. Mais est-ce bien une mort aussi naturelle que cela ? Lorsqu’il vide une dinde enfin dégelée (un cadeau anonyme placé sur le pas de sa porte) et qu’il y trouve tout autre chose que les abattis habituels, Quill comprend, à l’instant même, pourquoi ses chats montaient la garde devant la porte du frigo et pourquoi ils raffolaient de gruyère. Il sait, à présent, qui est le meurtrier.

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        Avec Le chat qui disait cheese, l’auteure nous propose une tranche de vie d’une petite bourgade. Le personnage de Quill semble être l’élément essentiel du récit : il écrit ses chroniques, recherche de nouveaux sujets d’intérêt, rencontre des personnes éminemment sympathiques qui sont pour la plupart des personnages que le lecteur retrouve avec plaisir d’un roman à l’autre, observe ses chats et leurs mimiques…. On entre dans le récit comme dans un lieu familier où une main habile a apporté quelques changements qui excitent la curiosité et où « l’intrigue policière » semble être remisée au fonds d’un placard que l’on ouvre de temps en temps pour y jeter un coup d’œil. Mais, en est-il bien ainsi ? Le récit est fait d’épisodes qui, comme des pièces d’un puzzle, finissent par se rassembler ; l’on découvre, alors, que l’auteure, ménageant ses effets, a semé, tout au long de l’oeuvre, de discrets indices qui mis ensemble, aboutissent à désigner un coupable et à expliquer les raisons des meurtres. Tous les romans de la série Le chat qui… sont bâtis sur une narration savamment construite qui a le bon goût de s’effacer derrière un récit éminemment agréable à lire. Celui-ci ne fait pas exception et sa lecture devrait vous encourager à vous procurer d’autres ouvrages de cette série.

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[Lis] Aurora Teagarden – 1. Le club des amateurs de meurtres, Charlaine Harris

Bonjour à tous! J’espère que vous vous portez bien et que la tempête des derniers jours ne vous a pas causé trop de tracas. En ce qui me concerne, je me trouvais à l’étranger, mais un vent intense était également de la partie.

Aujourd’hui, c’est décidé: je reste à la maison, j’allume une bougie parfumée et je vous écris à propos du premier volume d’une saga policière que je viens de découvrir!

Chaque petite ville a ses mystères et Lawrenceton, en Georgie, n’échappe pas à la règle. Le club des Amateurs de meurtres se réunit une fois par mois pour étudier de célèbres cold cases. Pour Aurora Teagarden, jeune bibliothécaire, c’est un passe-temps aussi agréable qu’inoffensif… Jusqu’au jour où elle découvre le corps sans vie d’une des membres du cercle.

Étrangement, la scène du crime ressemble à une ancienne affaire. Des fidèles du club sont assassinés et ces meurtres ont des allures de copycat. Tous les membres, y compris Aurora, sont des coupables plausibles, et des victimes potentielles. Qui se cache derrière ce jeu macabre ?

Si vous êtes un peu observateurs, vous aurez constaté que je ne lis jamais de polar car, autant j’apprécie le genre sur grand écran, autant, au moment d’ouvrir un roman, je recherche avant tout la détente et l’évasion. En tant que lectrice nocturne, j’ai tendance à fuir les univers qui risqueraient de venir me hanter pendant mon sommeil!

Pourtant, Le club des amateurs de meurtres est parvenu à éveiller mon intérêt, et pour une raison toute simple: j’ai vu, et apprécié, le téléfilm Hallmark inspiré par les romans. J’ignorais alors qu’il s’agissait de l’adaptation d’une série littéraire en huit volumes dont Charlaine Harris, plus connue pour avoir écrit La communauté du Sud, était l’auteur!

J’ai retrouvé dans ce premier tome chacun des éléments qui m’avaient séduite dans la version télévisée. Tout d’abord, la narratrice n’a rien d’un lieutenant de police ou d’un détective privé: Aurora, que tout le monde surnomme Roe, est une bibliothécaire tout ce qu’il y a de plus ordinaire… à une exception près: durant son temps libre, la jeune femme se passionne pour les affaires criminelles non résolues!

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Si un tel loisir peut surprendre, il n’a rien de très excentrique à Lawrenceton où un authentique Club des amateurs de meurtres a vu le jour et permet, lors de ses assemblées, à un participant de présenter une enquête qu’il soumet ensuite au débat. Le cercle passe alors au crible le moindre indice, la moindre zone d’ombre et élabore de nouvelles hypothèses au sujet des plus inquiétants tueurs en série de l’histoire!

Leur expertise est toutefois mise à l’épreuve lorsque l’un des membres est retrouvé assassiné, quelques minutes avant l’ouverture d’une réunion du club. Rassemblés sur les lieux du drame, les amateurs de meurtres deviennent alors les suspects de cette angoissante partie de Cluedo. Le mobile est-il le règlement de compte? Ou s’agit-il, au contraire, d’un crime passionnel?

Rien n’est moins sûr pour Aurora qui, alors qu’elle se remet à grand peine de cette macabre découverte, est subitement assaillie par un sentiment de familiarité. C’est indéniable: le meurtre reproduit trait pour trait l’affaire qui faisait l’objet de l’exposé du jour! Et il n’est que le premier d’une longue série…

Le roman pourrait alors prendre la voie du policier traditionnel, mais entre la vie de la bibliothèque, celle du voisinage et les hésitations sentimentales de notre héroïne, l’intrigue mêle mystère et romance pour une lecture aussi légère qu’imprévisible.

Les puristes pourraient ne pas y trouver leur compte, mais en ce qui me concerne, j’ai déjà hâte de me plonger dans les volets suivants!

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[Lis] Elle n’en pense pas un mot, Josephine Tey par le Vert Lisant

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   Voici un roman policier peu banal : pas de meurtre et donc pas d’assassin se dissimulant derrière la respectable figure d’un membre d’un nombre restreint de personnes tout aussi respectables. Il n’y a pas, non plus, d’indices, que le lecteur ne remarque pas mais qui n’échappent pas à l’oeil perspicace du détective « privé » ou de l’inspecteur de Scotland Yard. Ici, il ne s’agit pas de trouver un coupable, mais bien de démontrer l’innocence de personnes “injustement accusées” et, cela, dans un récit qui distille une intrigue qui vous tient en haleine jusqu’au bout de l’oeuvre.

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     La petite localité de Milford serait bien banale s’il n’y avait les Sharpe : la mère âgée raide et énigmatique et la fille, dans la quarantaine, quelque peu excentrique. Elles habitent  dans « The franchise », un immeuble qu’elles ont hérité d’un vague cousin. C’est une demeure située en dehors du bourg, entourée de hauts murs, défendue par un portail en fer forgé, suffisamment hideuse que pour décourager n’importe quel acheteur, et trop petite pour intéresser une firme ou une institution.

     Milford les voit régulièrement venir prendre une collation et faire leurs achats, conduisant une vieille voiture qui ne tient ensemble que par la force de l’habitude, semble-t-il, et dont un des enjoliveurs de roue est dépareillé.

    La journée de l’avocat Robert Blair, aurait été une de routine, comme toutes les autres, si Marion Sharpe ne l’avait pas appelé à l’aide, au téléphone : elle et sa mère sont accusées, à tort disent-elles, de « séquestration et maltraitance » par une adolescente Betty Kane qui paraît être l’incarnation-même de l’innocence. C’est une orpheline de guerre (qui a été adoptée par la famille Wynn) et l’on ne peut que doublement s’apitoyer sur son sort. L’inspecteur Grant , venu de Scotland Yard, a sous les yeux les déclarations de cette dernière or, elles sont troublantes parce que la jeune fille décrit fort exactement « The Franchise ». Elle y a été, dit-elle, séquestrée, pendant plusieurs semaines, dans une pièce mansardée, mal nourrie, dormant sur un lit vétuste et frappée parce qu’elle refusait de devenir la servante des Sharpes. Elle s’est sauvée la nuit où ses geôliers avaient oublié de fermer sa porte à clef. Elle a décrit, avec justesse, les deux dames ainsi que leur voiture avec son bizarre enjoliveur. La visite de la mansarde avec sa lucarne correspond à sa description, des traces sur le plancher attestent qu’il y a bien eu, là, un lit.

   L’inspecteur Grant est convaincu que l’accusation est fondée et justifie une enquête. Robert Blair, lui, est intimement, convaincu que l’adolescente ment. Bert le demi-frère de Betty qui trouvait la police peu motivée a cru bon de faire venir un journaliste du  »Ack-Emma » un journal à scandales. L’affaire fait la une avec une grande photo de Betty. Et voilà tout Milford révolté contre les Sharpe. On refuse de les servir, on tague le mur de leur maison, on jette des pierres qui brisent des fenêtres. Il devient clair qu’un jury populaire condamnera, à coup sûr, les deux dames.

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    Blair se rend chez les Wynn.  »Betty est une jeune fille modèle, très bonne écolière, aidée en cela par une excellente mémoire. Elle passait quelques semaines de vacances chez ses oncle et tante , à Mainshill. Et, là, il apprend que la jeune fille s’y ennuyait, qu’elle se rendait régulièrement à Larborough , où son cinéma – qui fait séance continue – change de film au milieu de la semaine. Et puis, Betty faisait aussi des excursions en car ». Blair se rend à Larborough, peut être y trouvera-t-il des indices. Finalement, il déniche un serveur qui se souvient d’elle, il l’a vue quitter l’établissement, accompagnée d’un homme, et ce, le jour de sa disparition. Il finit, aussi, par apprendre qu’un car à impériale s’est rendu à plusieurs reprises à Milford.

   A ce point de son enquête, Blair décide de se confier à un ami : Kevin Macdermott, un célèbre pénaliste qui, lui aussi convaincu que Betty ment, accepte de prendre l’affaire en main et conseille d’engager un excellent détective, de ses connaissances, qui poursuivra les investigations.

    Et puis Marion a trouvé la preuve que Betty a menti : cette dernière a déclaré voir, depuis la lucarne de la mansarde, l’espace entre la grille et la maison, espace qu’elle a bien décrit. Vérifications faites, cela est strictement impossible, de là, on n’aperçoit que le haut des murs. Mais, cela reste un argument fragile que le procureur démolira certainement.

    Les mauvaises nouvelles s’accumulent : le détective n’a pu trouver aucune trace de Betty et, pire, l’ancienne servante des Sharpe vient de déclarer à la police avoir entendu, à plusieurs reprises des cris provenant de la mansarde ; elle en avait, d’ailleurs, parlé à une amie qui confirme. Aussi, les deux dames ne tardent pas à se retrouver, au tribunal, devant un jury d’assise prêt à croire Betty et le procureur. Elles sont condamnées par avance.

   Alors que tout se ligue contre elles, les deux dames vont-elles échapper à une lourde peine? Et si elles étaient coupables !! Bien sûr, je n’en dirai pas plus et je ne saurais trop vous recommander de vous procurer le livre et de voir par vous-même.

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      Elle n’en pense pas un mot est un roman policier comme je les aime : une histoire très originale, dense, sans anecdote inutile, dotée d’un rythme soutenu, et de suffisamment de rebondissements que pour « scotcher » le lecteur. Ajoutons à cela : un style agréable avec, de temps en temps, une pointe d’humour et, surtout, un remarquable thriller qui ne se dissipe que dans les dernières pages du roman. Il y a du Hitchcock dans cette manière de traiter le récit. Faut-il s’étonner que ce dernier ait adapté « Jeune et innocent » une autre oeuvre de J. Tey.

Merci, cher Vert Lisant!

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