[Lis] Le chat qui disait cheese, Lilian Jackson Braun par Le Vert Lisant


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  Si Lilian Jackson Braun ressemblait à ses quelque trente romans dont les titres commencent tous par : Le chat qui…, ce devait être une dame agréable et charmante, car ses romans sont tous agréables à lire et il s’en dégage un certain charme aimable. Ce sont des romans policiers, on y trouve quelques crimes, et l’un ou l’autre cadavre mais l’enquête est, apparemment, plus que discrète. Ce qui importait à l’auteure, semble-t-il, c’est de donner une parfaite illusion de vie à Pickak, une sympathique bourgade imaginaire, et à des personnages de fiction, et ce, pour notre plus grand plaisir.

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        Cet automne, le comté de Moose – à 600 kilomètres de partout – est en effervescence : on y prépare une « grande expo gastronomique » qui promet ; bien plus, les gens de Pickak sont très intrigués par la présence d’une femme habillée en noir qui est descendue dans le « Nouvel hôtel », le seul établissement de la ville qui, faute d’entretien, s’est considérablement détérioré ; l’endroit est certes propre et convenable, mais de mémoire d’homme, personne n’y a séjourné plus que deux nuits. Ajoutez à cela un réceptionniste refusant de dire qui elle est ! Le mystère n’en devient que plus piquant.

        Pendant ce temps-là, Qwilleran, Quill pour tout le monde, achève d’écrire sa rubrique bihebdomadaire que publie le journal local : Quelque chose du comté de Moose. Quill était journaliste lorsqu’il hérita d’une fortune colossale ; il en confia la majeure partie à un fonds chargé de soutenir des projets intéressants : rénover une maison historique du comté, financer un projet commercial prometteur, agrandir la bibliothèque de Pickak… Lui-même vit dans une grange hexagonale qu’il a fait entièrement moderniser et c’est le personnage principal des trente romans. Enfin, presque, car il faut ajouter ses deux subtils chats siamois : Koko et Yom-Yom, des chats qui savent quand le téléphone va sonner ; qui peuvent dire quand Quill va partir et quand il revient ; qui ne se nourrissent que de mets de choix, après que Quill leur a lu le contenu de la boite ; qui adorent qu’on leur fasse la lecture, avec une prédilection pour Aristophane ; et surtout, surtout, dans chaque roman, qui sèment derrière eux des indices, à interpréter, destinés à démasquer le criminel.

         Quill, en quête de sujets pour sa chronique, se décide à aller interroger monsieur Limburger, le propriétaire de l’hôtel, un vieil homme peu amène et avare, avec l’espoir qu’il en sache plus sur la mystérieuse dame en noir. Non seulement l’homme est désagréable, mais quittant Quill pour chasser, dehors, un chien, il trébuche et tombe. Un jeune homme, Scotten, qui vient régulièrement aider Limburger, appelle l’ambulance. Quill et lui font connaissance : il s’occupe de ruches et vient d’être engagé comme mécanicien dans un élevage de dindes. Le propriétaire, un ami de Quill, vante les qualités du jeune homme. Deux sujets à exploiter pour de futures chroniques ?

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         Et voilà, tout est prêt pour l’intrigue policière ; ne manque plus que l’élément déclencheur. Une bombe explose dans la chambre 102 de l’hôtel, tuant un membre du personnel. C’est la chambre qu’occupait la dame en noir. Celle-ci, illico, prend un taxi pour l’aéroport, monte dans un avion et disparaît, sans laisser d’adresse. Le commissaire ne tarde pas à apprendre (et à révéler à Quill) qu’un homme s’est présenté à la réception avec, à la main, un bouquet de fleurs qu’il venait d’acheter et un paquet, un cadeau disait-il, qu’il tenait, absolument – il insistait – à déposer dans la chambre de cette dame.

          Bien qu’il garde à l’esprit l’enquête policière, Quill mène une vie sociale importante : coups de téléphone, visites de courtoisie où l’on retrouve des personnages – sympathiques –  des romans précédent. Il cherche, aussi, à savoir qui a dérobé le précieux livre de recettes d’Iris Cobb (une amie de Quill, décédée dans un roman précédent, elle flirtait un peu avec lui, fine cuisinière elle avait noté ses recettes dans un cahier que l’on souhaiterait publier) et surtout, comment le récupérer. Et puis, l’exposition a occasionné l’ouverture de magasins dont l’un présente une belle offre de fromage. Le préféré de Quill est le gruyère, des chats aussi qui ne ratent pas l’occasion pour tenter, en douce, de chiper quelques morceaux. Qui plus est, c’est dans sa grange, où Koko et Yom-Yom vont s’illustrer, qu’a lieu une mémorable dégustation de pas moins de 24 variétés de fromage.

         Quill est, aussi, membre du jury appelé à déguster des pâtés, objets d’un concours. Le choix du meilleur prête à des discussions animées et amicales. Enfin l’on met aux enchères des billets, chacun donne droit à un dîner en tête à tête avec la personnalité correspondante. Il obtient la mise la plus élevée.

         Pendant ce temps-là, les chats mènent une activité fébrile en relation, bien évidemment, avec l’explosion criminelle ; leur passion pour le gruyère constitue, bien évidemment, un indice à ne pas négliger.

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         Enfin, alors que retentissent les explosions du feu d’artifice qui clôture les festivités, Koko se met « à hurler à mort », signe qu’un drame vient de se produire. C’est un crime qui vient d’être commis : le fleuriste, resté dans sa boutique (un témoin gênant pour l’assassin), vient d’être tuer à coups de pistolet. Une autre victime s’ajoute, bientôt, à la liste : Scotten découvre que le pêcheur à qui il a loué son cabanon est décédé, empoisonné par une multitude de piqûres d’abeille. Mais est-ce bien une mort aussi naturelle que cela ? Lorsqu’il vide une dinde enfin dégelée (un cadeau anonyme placé sur le pas de sa porte) et qu’il y trouve tout autre chose que les abattis habituels, Quill comprend, à l’instant même, pourquoi ses chats montaient la garde devant la porte du frigo et pourquoi ils raffolaient de gruyère. Il sait, à présent, qui est le meurtrier.

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        Avec Le chat qui disait cheese, l’auteure nous propose une tranche de vie d’une petite bourgade. Le personnage de Quill semble être l’élément essentiel du récit : il écrit ses chroniques, recherche de nouveaux sujets d’intérêt, rencontre des personnes éminemment sympathiques qui sont pour la plupart des personnages que le lecteur retrouve avec plaisir d’un roman à l’autre, observe ses chats et leurs mimiques…. On entre dans le récit comme dans un lieu familier où une main habile a apporté quelques changements qui excitent la curiosité et où « l’intrigue policière » semble être remisée au fonds d’un placard que l’on ouvre de temps en temps pour y jeter un coup d’œil. Mais, en est-il bien ainsi ? Le récit est fait d’épisodes qui, comme des pièces d’un puzzle, finissent par se rassembler ; l’on découvre, alors, que l’auteure, ménageant ses effets, a semé, tout au long de l’oeuvre, de discrets indices qui mis ensemble, aboutissent à désigner un coupable et à expliquer les raisons des meurtres. Tous les romans de la série Le chat qui… sont bâtis sur une narration savamment construite qui a le bon goût de s’effacer derrière un récit éminemment agréable à lire. Celui-ci ne fait pas exception et sa lecture devrait vous encourager à vous procurer d’autres ouvrages de cette série.

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[Lis] Mademoiselle Chon du Barry, Frédéric Lenormand, par le Vert Lisant

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Il y a bien des années, Andrex chantait : « … elle a tout, tout, tout pour séduire… ». Mademoiselle Chon du Barry, tout au contraire, n’a rien pour plaire : elle est affublée du surnom ridicule, elle est née dans une famille de petite noblesse qui tire le diable par la queue, elle boite et elle n’est vraiment pas jolie. Son sort semble tracé entre : finir vieille fille désargentée ou entrer au couvent. Et pourtant ! Lenormand, qui lui prête sa plume, lui permet de raconter son extraordinaire histoire, avec ce ton moqueur, aimablement narquois qu’affectionne l’écrivain.

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Le destin va prendre l’aspect d’une bourse plus que replète, que Jean-Baptiste, un de ses frères, lui envoie. Il vit à Paris et mène grand train. Il lui demande, ainsi qu’à son frère aîné, de le rejoindre pour une affaire très importante. Après quelques hésitations, l’on part pour la capitale. Jean-Baptiste possède un bel hôtel de maître qui lui assure des revenus confortables, car… il y accueille des personnages « généreux » en quête de « demi-mondaines » peu farouches.

Mais Jean-Baptiste a un plan pour gagner encore plus d’argent: sa maîtresse, Jeanne Bécu, une très jolie femme, plaît énormément à Louis XV qui l’a rencontrée « par hasard » et qui souhaite l’installer à Versailles. Le problème c’est que pour être introduite à la Cour, il faut un titre de noblesse. Et c’est là que doit intervenir son frère aîné : il épouse, mademoiselle Bécu et elle devient « comtesse du Barry »; une autre bourse très rondelette renvoie dans ses terres le nouvel époux, avec prière de s’y faire oublier. Quant à Chon, elle suivra la comtesse comme son ombre car, si cette dernière a vraiment beaucoup de charme, si elle a été éduquée durant 9 ans dans un couvent, si elle connaît les bonnes manières à force de fréquenter des clients huppés, elle n’a pas inventé la poudre.

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Le roi installe sa maîtresse à Versailles; mademoiselle Chon jouit d’un appartement voisin de celui de la comtesse. Elle la surveillera, lui tiendra lieu de compagne, de gouvernante, d’intendante; c’est elle qui répondra aux billets du roi, mais aussi aux demandes de faveurs, de grâce, etc…qu’on adresse à madame du Barry pour qu’elle intervienne.

On convainc une duchesse désargentée (moyennant une bourse généreuse), de présenter la comtesse à la Cour; cette dernière arrive en retard ce qui indispose les nobles, elle est accompagnée par Chon qui n’était pas invitée, ce qui les indispose encore plus. La comtesse ne se fait pas que des amis!! Quand elle rend visite aux sœurs du roi, celles-ci l’accueillent en soufflant dans des instruments à vent et en massacrant, sciemment et consciencieusement, Vivaldi. Le dauphin ne l’aime guère, la dauphine, Marie-Antoinette, l’exècre, Le ministre Choiseul ne peut pas la supporter – il le payera en perdant sa place, les courtisans murmurent contre elle et la calomnient. Mais, mais… le roi l’aime et trouve auprès d’elle une seconde jeunesse. Et ce que le roi veut… Il la couvre de bijoux, paye ses dépenses somptuaires, accorde même une somme importante à Jean-Baptiste et, de bonne humeur, il fait sauter Chon sur ses genoux (authentique).

On veut marier Chon, mais les prétendants sont tous âgés et désargentés! Et puis, finalement, la comtesse ne veut plus se séparer d’elle. On reçoit le prince héritier de Suède, qui sort d’une entrevue peu agréable avec la Dauphine. Chon remarque, dans la suite, un beau jeune homme, un certain comte de Fersen ( l’histoire retiendra ce nom). Le ministre Maupéou se découvre, soudain, une lointaine parenté avec la comtesse, il la salue de « ma cousine » à chaque rencontre. Chon, pour mettre un terme aux ragots d’inculture de la comtesse, établi, chez sa belle-sœur, une superbe bibliothèque dont elle range les livres avec délice.

Chon qui sait que toute chose a une fin et que cette dernière peut venir plus vite que prévu, obtient pour la comtesse le domaine de Louveciennes près de Marly.

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En 1774, alors qu’il chassait, le roi rencontre de pauvre gens tirant une charrette où gît une victime de la variole. Quelques semaines plus tard, il tombe malade: il a contracté cette maladie dont il mourra. A peine monté sur le trône, Louis XVI fait enfermer la comtesse dans l’abbaye de Pont-aux-Dames. Chon la suit dans cette « prison ». Pour subsister, on vend, fort cher, quelques bijoux. L’infortune dura un an. Libérée, la comtesse se croit pauvre et songe à se faire religieuse, mais que nenni, Chon a placé tout l’argent que cette dernière n’arrivait pas à dépenser. On achète, donc, une propriété à Saint-Vrain, les deux femmes s’y ennuient. Puis vint l’autorisation de regagner Louvecienne. La comtesse renoue avec la vie de Cour ; viennent la voir « surtout ceux qui lui devaient le moins » raille Chon. L’empereur Joseph II vient la saluer. Madame Vigée-Lebrun est invitée, elle y fera 3 portraits de la comtesse qui, s’amuse Chon, à 43 ans se croit toujours « jeune ».

La propriété est cambriolée; après enquête on retrouve les bijoux en Grande-Bretagne, laquelle traîne pour les remettre. La comtesse s’y rend, en vain. Un hargneux, nommé Griève se présente accompagné de deux gendarmes, la comtesse qui, au lieu de fuir, reste pour brûler de la correspondance et des documents qui pourraient nuire à des proches, est faite prisonnière; la révolution l’a rattrapée. Quant à Chon elle réussit à se sauver, à regagner Toulouse où elle retrouve sa famille. Quelques mois plus tard, les du Barry deviennent suspects, on pille leurs biens (mais Chon, forte de son expérience, a caché l’essentiel). Elle est faite prisonnière, son frère Jean-Baptiste est exécuté et… je ne vous livre pas la fin, surprenante, de l’histoire, elle est dans le livre.

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De son vrai prénom: Françoise Claire, Chon a vu son sort si étroitement lié à celui de la comtesse que l’on disait d’elles: qu’elles n’étaient rien l’une sans l’autre; le récit a non seulement, le mérite de révéler leurs deux existences en mêlant Histoire et fiction, mais encore de le faire de manière plus que crédible. Même si le ton est celui auquel Lenormand nous a habitué, fait de remarques amusantes, railleuses, impertinentes, l’on devine qu’il éprouve bien de la sympathie pour Mademoiselle Chon du Barry. Ce roman est court, plein d’esprit, fort bien mené, captivant et très agréable à lire. Il vous fera passer un bon moment.

Merci, cher Vert Lisant!

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[Lis] L’homme parfait est québécois, Diane Ducret, par le Vert Lisant

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Une fois n’est pas coutume, ce soir, le Vert Lisant voit rouge… Découvrez pourquoi en lisant sa dernière critique!

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 Je m’étais replongé dans la littérature canadienne française quand ce livre est sorti de presse. Le titre promettait une lecture amusante, le quatrième de couverture assurait que la romancière revisitait le « mythe du Prince Charmant ». Prudent je consulte internet et je découvre, de suite, la critique élogieuse qu’un hebdomadaire réputé sérieux venait de publier : on y parle d’un livre spirituel, amusant, léger. Sur foi de quoi, j’achète et je commence à lire avec l’espoir de passer quelques moments agréables… Et puis, patatras, je tombe sur un florilège d’inepties rédigé dans un style où la forme ne rattrape pas le fond. Suivez-moi !!

 

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   L’héroïne de ce roman est célibataire bien qu’elle ait, à plusieurs reprises, essayé de ne plus l’être, ce qui nous vaut une panoplie d’hommes qui sont entrés dans son existence pour en sortir plus ou moins vite. La voilà qui pense entrer au couvent, et puis, quand même, non ! Enfin, heureux hasard, elle rencontre, à l’occasion d’une exposition de tableaux, le peintre en personne ; il est québécois, il est beau, charmant, séduisant. On noue une conversation, on la poursuit, plus tard dans un estaminet. Il lui avoue qu’il a des motons dans la gorge [fort peiné] car leur belle relation s’achève : il doit retourner au Québec le lendemain. Là-dessus, on se quitte, et, comme elle va prendre sa voiture, il lui demande si elle chauffe [conduit] depuis longtemps.

 

L’homme parfait s’exprime, aussi, en joual.

 

     Mais tout n’est pas perdu ! Rapidement, il lui demande de le rejoindre au Québec pour passer ensemble une semaine. Il l’attend à la porte de l’aéroport, l’habille et botte chaudement : on est en plein hiver et puis, en voiture pour découvrir sa maison, c’est-à-dire le cliché de « ma cabane au Canada » : faite en rondins avec, à l’arrière-plan : un lac, gelé certes, mais un lac quand même. On entre, elle admire, accrochée dans le hall d’entrée une tête d’orignal et découvre qu’il fait aussi froid à l’intérieur qu’à l’extérieur. On s’enveloppe de couvertures, dans le salon et puis au lit. Mais, ce sera chaste parce que (1) elle est dans une « mauvaise » semaine. Elle utilise les toilettes, mais la chasse est gelée (1), je vous passe les détails, mais elle s’en trouve terriblement gênée.  Bonne fille, elle prépare le petit déjeuner, demande à son hôte s’il a du bacon, celui-ci comprend [argent] et répond qu’il en a pas mal. Elle s’étonne parce que le frigo est vide.

    Enfin, chose promise, chose due : la promenade en traîneau. Les voilà assis, elle, son ami et le guide qui tient solidement les rênes, mais… les chiens puent et se soulagent en cours de route (1). Le peintre se saisit des rênes, ne peut éviter un cahot et la voila partie pour un vol plané qui se termine dans un tas de neige. Fini la balade romantique, d’autant plus que le Québécois doit aller chercher son fils : il est divorcé et c’est sa semaine de garde. On va faire des achats, l’enfant fait des niches dans le magasin, notre homme revient avec des paquets, demande si son fils n’a pas été tannant [insupportable], puis déclare qu’il va mettre les sacs dans la malle arrière de son char [le coffre de sa voiture]. Elle tout heureuse de voir qu’il n’y avait pas de blindé sur le parking.

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     Vient l’inévitable soirée avec les amis. Après leurs questions stupides à son sujet, viennent aussi et le repas et les libations ; le langage devient de moins en moins châtié, il emprunte de plus en plus au joual avec diverses expressions vulgaires ; notre héroïne, n’est pas en reste : « les gros mots sont, en France, comme des signes de ponctuation » (sic)

    La promenade « romantique » en traîneau s’étant mal terminée, pourquoi pas une balade en  »ski doo » [une marque de motoneige] et sans vêtements pour que ce soit plus amusant. Inévitablement, à mi-parcours, l’engin tombe en panne ; elle suggère d’appeler non pas un mécanicien (comme l’on s’y attendrait) mais un dépanneur [épicier], notre Québécois n’a pas le temps de s’étonner car sort du bois un orignal qui fait mine de charger. La motoneige consent à redémarrer et retour à la maison.

   Mais, le lendemain, il faut reconduire l’enfant chez sa mère. Comme notre peintre a de la fièvre, c’est notre héroïne qui le ramènera. Ce sera sans problème grâce au gps. La mère est avenante et plutôt gironde. Les deux femmes bavardent et, avant de se quitter, cette dernière confesse qu’elle avait peur qu’elle la trouve plate [stupide]. Sur le chemin de retour, le gps meurt, elle s’égare, échoue dans un village où elle demande son chemin à un homme. Mais c’est à « outsiplou », lui dit-il en ajoutant qu’il est « maître coq » ; elle est tombée sur un Belge !! qui lui indique la bonne voie à suivre.

    La semaine s’achève, elle boucle ses valises, c’est bientôt le retour à Paris, mais comme il a fini par lui parler, à mi-mot, de mariage, il lui offre un cadeau : une bague de fiançailles ? Un jonc en or ? Pensez-vous, un « capteur de rêves » qu’elle pourra accrocher au-dessus de son lit en pensant à lui. Et puis, la voilà dans un avion prêt à décoller, c’est alors qu’ il lui envoie un dernier sms : il lui demande…. sa recette pour faire cuire les œufs à la coque !!!

    Et puis, surprise, devinez qui vient occuper le siège à côté de notre héroïne ! Mais, oui ! Le Belge si aimable… et si c’était lui l’homme parfait ?


 

(1)  elle ne nous épargne, vraiment, aucun détail.

 

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Commentaires

 

Réglons d’abord un problème : pas plus qu’un Wallon ne sort un belgicisme toutes les 10 phrases pas plus un Québécois ne s’exprime en joual à tout bout de champ (je vous en ai épargné les 9/10e cités dans le livre).

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Venons en au récit : d’abord : la panoplie d’amants, cela pourrait être amusant si c’était raconté de manière très spirituelle et non comme l’énoncé d’un catalogue. Au Québec, à présent : inviter une « amie » pour une seule semaine, en plein hiver, par moins 20/moins 30, précisément la semaine où il a la garde de son fils, l’homme idéal n’est vraiment pas futé. La tête d’orignal dans le hall d’entrée : il faut le vouloir vu ses dimensions et puis, il n’y a de hall d’entrée ni dans les maisons ni dans les appartements : on pénètre directement dans la salle de séjour. Ensuite : il n’y a aucun Québécois qui laisserait sa maison sans un minimum de chauffage sous peine de voir tous ses tuyaux d’eau exploser, il suffit qu’il règle le thermostat en conséquence. Venons-en à la promenade en traîneau : deux clics sur Internet en montrent des photos : le siège étroit, très proche du sol, ne peut accueillir qu’une seule personne, mi-assise, mi-couchée, le guide se place en dehors, à l’arrière et, surtout, il ne tient pas de rênes, car les chiens obéissent à ses commandements. Enfin sortir sans vêtement par moins trente, c’est vouloir un suicide très douloureux et rapide, alors décrire une ballade en motoneige, sans aucun vêtement, relève de la plus pure affabulation.

 

Le roman veut-il jouer sur l’incompréhension, les méprises qu’occasionnent les mots et expressions en joual, veut-il faire « couleur locale » (en accumulant des erreurs) ??  On a connu Diane Ducret mieux inspirée. Enfin, le style quelconque, parfois vulgaire ne rachète rien. Etais-je le seul à avoir un avis aussi défavorable ? Par acquit de conscience, j’ai jeté un coup d’œil chez Babelio, l’œuvre n’y reçoit qu’une étoile sur cinq, le commentaire semble signifier que son auteur aurait mis moins si cela avait été possible.

 

Inutile de vous dire que je ne vous recommande pas ce roman.

 

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[Lis] Elle n’en pense pas un mot, Josephine Tey par le Vert Lisant

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   Voici un roman policier peu banal : pas de meurtre et donc pas d’assassin se dissimulant derrière la respectable figure d’un membre d’un nombre restreint de personnes tout aussi respectables. Il n’y a pas, non plus, d’indices, que le lecteur ne remarque pas mais qui n’échappent pas à l’oeil perspicace du détective « privé » ou de l’inspecteur de Scotland Yard. Ici, il ne s’agit pas de trouver un coupable, mais bien de démontrer l’innocence de personnes “injustement accusées” et, cela, dans un récit qui distille une intrigue qui vous tient en haleine jusqu’au bout de l’oeuvre.

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     La petite localité de Milford serait bien banale s’il n’y avait les Sharpe : la mère âgée raide et énigmatique et la fille, dans la quarantaine, quelque peu excentrique. Elles habitent  dans « The franchise », un immeuble qu’elles ont hérité d’un vague cousin. C’est une demeure située en dehors du bourg, entourée de hauts murs, défendue par un portail en fer forgé, suffisamment hideuse que pour décourager n’importe quel acheteur, et trop petite pour intéresser une firme ou une institution.

     Milford les voit régulièrement venir prendre une collation et faire leurs achats, conduisant une vieille voiture qui ne tient ensemble que par la force de l’habitude, semble-t-il, et dont un des enjoliveurs de roue est dépareillé.

    La journée de l’avocat Robert Blair, aurait été une de routine, comme toutes les autres, si Marion Sharpe ne l’avait pas appelé à l’aide, au téléphone : elle et sa mère sont accusées, à tort disent-elles, de « séquestration et maltraitance » par une adolescente Betty Kane qui paraît être l’incarnation-même de l’innocence. C’est une orpheline de guerre (qui a été adoptée par la famille Wynn) et l’on ne peut que doublement s’apitoyer sur son sort. L’inspecteur Grant , venu de Scotland Yard, a sous les yeux les déclarations de cette dernière or, elles sont troublantes parce que la jeune fille décrit fort exactement « The Franchise ». Elle y a été, dit-elle, séquestrée, pendant plusieurs semaines, dans une pièce mansardée, mal nourrie, dormant sur un lit vétuste et frappée parce qu’elle refusait de devenir la servante des Sharpes. Elle s’est sauvée la nuit où ses geôliers avaient oublié de fermer sa porte à clef. Elle a décrit, avec justesse, les deux dames ainsi que leur voiture avec son bizarre enjoliveur. La visite de la mansarde avec sa lucarne correspond à sa description, des traces sur le plancher attestent qu’il y a bien eu, là, un lit.

   L’inspecteur Grant est convaincu que l’accusation est fondée et justifie une enquête. Robert Blair, lui, est intimement, convaincu que l’adolescente ment. Bert le demi-frère de Betty qui trouvait la police peu motivée a cru bon de faire venir un journaliste du  »Ack-Emma » un journal à scandales. L’affaire fait la une avec une grande photo de Betty. Et voilà tout Milford révolté contre les Sharpe. On refuse de les servir, on tague le mur de leur maison, on jette des pierres qui brisent des fenêtres. Il devient clair qu’un jury populaire condamnera, à coup sûr, les deux dames.

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    Blair se rend chez les Wynn.  »Betty est une jeune fille modèle, très bonne écolière, aidée en cela par une excellente mémoire. Elle passait quelques semaines de vacances chez ses oncle et tante , à Mainshill. Et, là, il apprend que la jeune fille s’y ennuyait, qu’elle se rendait régulièrement à Larborough , où son cinéma – qui fait séance continue – change de film au milieu de la semaine. Et puis, Betty faisait aussi des excursions en car ». Blair se rend à Larborough, peut être y trouvera-t-il des indices. Finalement, il déniche un serveur qui se souvient d’elle, il l’a vue quitter l’établissement, accompagnée d’un homme, et ce, le jour de sa disparition. Il finit, aussi, par apprendre qu’un car à impériale s’est rendu à plusieurs reprises à Milford.

   A ce point de son enquête, Blair décide de se confier à un ami : Kevin Macdermott, un célèbre pénaliste qui, lui aussi convaincu que Betty ment, accepte de prendre l’affaire en main et conseille d’engager un excellent détective, de ses connaissances, qui poursuivra les investigations.

    Et puis Marion a trouvé la preuve que Betty a menti : cette dernière a déclaré voir, depuis la lucarne de la mansarde, l’espace entre la grille et la maison, espace qu’elle a bien décrit. Vérifications faites, cela est strictement impossible, de là, on n’aperçoit que le haut des murs. Mais, cela reste un argument fragile que le procureur démolira certainement.

    Les mauvaises nouvelles s’accumulent : le détective n’a pu trouver aucune trace de Betty et, pire, l’ancienne servante des Sharpe vient de déclarer à la police avoir entendu, à plusieurs reprises des cris provenant de la mansarde ; elle en avait, d’ailleurs, parlé à une amie qui confirme. Aussi, les deux dames ne tardent pas à se retrouver, au tribunal, devant un jury d’assise prêt à croire Betty et le procureur. Elles sont condamnées par avance.

   Alors que tout se ligue contre elles, les deux dames vont-elles échapper à une lourde peine? Et si elles étaient coupables !! Bien sûr, je n’en dirai pas plus et je ne saurais trop vous recommander de vous procurer le livre et de voir par vous-même.

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      Elle n’en pense pas un mot est un roman policier comme je les aime : une histoire très originale, dense, sans anecdote inutile, dotée d’un rythme soutenu, et de suffisamment de rebondissements que pour « scotcher » le lecteur. Ajoutons à cela : un style agréable avec, de temps en temps, une pointe d’humour et, surtout, un remarquable thriller qui ne se dissipe que dans les dernières pages du roman. Il y a du Hitchcock dans cette manière de traiter le récit. Faut-il s’étonner que ce dernier ait adapté « Jeune et innocent » une autre oeuvre de J. Tey.

Merci, cher Vert Lisant!

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[Lis] Qui en veut au marquis de Sade?, Frédéric Lenormand par Le Vert Lisant

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   Ne vous laissez pas abuser par le titre : le marquis est un personnage fort secondaire dans ce roman ; la véritable héroïne est sa fille de 18 ans : Laure de Sade qui consigne ses mésaventures dans son journal, toujours avec ce ton malicieux et souriant  qui est celui, habituel, de Lenormand.

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    Nous sommes en avril 1789, madame de Sade et sa fille Laure quittent le couvent où elles logent pour rendre visite au marquis, embastillé, qui leur a demandé des livres, des pâtés de bécasse, un jambon et de l’argent. Mais voilà qu’au tournant d’une rue, elles se trouvent face à une émeute : l’industriel Réveillon (1), qui avait proposé de baisser les salaires des ouvriers, ne doit son salut qu’en se réfugiant dans la bastille, laissant la foule saccager sa demeure dite : « Folie Titon » ainsi que sa manufacture de papiers peints y attenant. La mère et la fille s’engouffrent dans un logis ouvert et inoccupé ; Laure cherche un meilleur refuge à l’étage ; elle ouvre une chambre et voit : un cadavre de femme nu et violenté, ainsi qu’un homme masqué déguisé en Pierrot. Elle prend ses jambes à son cou. Entre-temps, la voie est devenue libre : la garde montée a fait place nette.

    Trois jours plus tard, Laure quitte le couvent pour faire les quelques achats demandés par son père. La voilà chaperonnée par une religieuse qu’elle sème rapidement, mais c’est pour être abordée par une sorte de gandin à la coiffure savamment hirsute qui prétend se nommer Gédéon Morissette, un valet payé par le marquis pour la protéger. L’on fait quelques emplettes, l’on se restaure dans une pâtisserie, puis, Laure entraîne son valet… à la morgue Là, elle se fait passer pour la nièce de la défunte, histoire de lui jeter un coup d’œil et de s’assurer qu’elle n’avait pas été, l’autre jour, victime d’une hallucination.

    Et maintenant, direction la Bastille, le marquis attend : son eau de Cologne, ses bésicles et les « Confessions » de Jean-Jacques Rousseau. Mais, si on veut bien transmettre le colis, les visites sont interdites. Toutefois, son père lui lance un billet ; il lui demande de lui apporter un coffret contenant – soi-disant – des échantillons de papiers peints , coffret qu’elle trouvera caché dans l’hôtel particulier du sieur Réveillon, sous un parquet du deuxième étage.

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    Au local de police où elle veut se plaindre : « On l’empêche de voir son père », l’attend un policier, Rougereul, qui l’a suivie depuis le couvent; la voilà accusée d’usurpation d’identité, de réception d’un billet lancé illégalement par le marquis, griefs auquel va s’ajouter, après les explications de Laure : non-dénonciation de crime. Enfin, comme la police à bien d’autres chats à fouetter, les voilà libres mais, surveillés étroitement par Rougereul.

    Visiter la demeure de Réveillon, le soir, est totalement illégal, mais Rougereul se doit de surveiller Laure, il sera de l’expédition en compagnie de Gédéon. On sonde le parquet, on trouve un coffret, on découvre, aussi, des sbires préparant à faire monter une sorte de montgolfière. C’est alors que Rougereul, se souvenant qu’il est policier, crie au trafic. Erreur, les sbires, défiant la loi, se mettent à les pourchasser ; ils ne doivent leur salut qu’en s’envolant dans la bienvenue montgolfière dont la nacelle emporte, aussi, tout un lot de montres qui, par la voie des airs, échappent, ainsi, à l’octroi.

         Et, ce n’est qu’un début !

   Laure va devoir, rapidement passer de jeune fille naïve à détective futée : il s’agit de résoudre quelques problèmes : qui est cet assassin qui a récidivé ? qui pratique ce trafic de montres – et il y a aussi des rubis ? Comment échapper aux séides lancés à ses trousses, retrouver Gédéon quelque peu voleur de bijoux. Quant à son père qu’elle a, frauduleusement et fort imprudemment, fait sortir de Charenton, où on l’a finalement expédié, il s’agit de le dénicher et l’y ramener en douce ? Et enfin, et ce n’est pas la moindre des choses : récupérer, dans l’ancienne cellule de son père, un manuscrit qu’il y a dissimulé, et ce, alors que des émeutiers envahissent la Bastille.

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    Comme à son habitude, Lenormand est très au fait de la période où il situe un récit fait d’aventures matinées d’enquêtes policières. Le roman mené à grand train, avec des personnages bien caractérisés, ne vous laisse pas souffler : il vous entraîne dans une série d’épisodes racontés avec verve et humour, mêlant rebondissements et suspense, parsemant le tout de réflexions faussement naïves, spirituelles, parfois narquoises, mais toujours drôles. Lenormand, avec « Laure » commence-t-il une série consacrée à cette nouvelle héroïne, comme il l’a fait, précédemment, pour Voltaire ? Si oui, on espère bien un prochain volume

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(1) Absolument authentique. Réveillon avait outre cette demeure : une manufacture de papiers peints. Ces derniers, servirent à réaliser l’enveloppe des montgolfières. Dans une période de crise, il eut l’idée, pour rendre les produits meilleurs marchés, de vouloir faire baisser le prix du pain et les salaires. L’émeute qu’il déclencha, ainsi, fut réprimée dans le sang.

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[Lis] Babayaga, Toby Barlow par le Vert Lisant

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   Babayaga est un roman que l’on aime (beaucoup) ou que l’on déteste (franchement) tant le récit est non linéaire et, par endroits, délirant voire surréaliste. Quand je dis « récit » je devrais plutôt parler de « récits » qui se recoupent, s’entrecroisent, interfèrent joyeusement les uns avec les autres, pour, bien sûr, aboutir à une conclusion, le tout dans une narration qui semble un chaos drôle, inénarrable et savamment organisé.

*

    Si l’action se passe dans le Paris des années ’50, cela fait plusieurs siècles qu’y vivent deux Babayagas, c’est-à-dire deux sorcières venues du fin fond de la Russie à travers la faim et le froid. Il y a Elga, vieille et plutôt laide, elle aime vivre discrètement ; tout le contraire de sa disciple Zoya qui, éternellement jeune et séduisante, vit dans le luxe que lui offrent ses amants successifs ; amants qu’elle n’hésite pas à tuer quand ils se montrent trop curieux. Justement, elle vient de laisser le dernier embroché sur les grilles d’un parc.

Halloween+Vintage+1950's+Taller+Blonder+Joyce+Holden+Witch+closeup

    L’inspecteur Nicot, chargé de l’enquête, mis sur une bonne piste par un heureux hasard, finit par interroger Elga qui, n’aimant pas la police et ses questions, le change en… puce. Une puce déterminée à trouver les coupables, mais qui se fait trimbaler de chiens en chats, s’évade de chez un dresseur de puces et, de tignasse en tignasse, aboutit sur celle de Will, un Américain employé par une agence publicitaire – qui pourrait être un nid d’espions –  et qui se désole : on ne lui confie plus, pour tout travail, que de compiler le maximum de renseignements sur certaines firmes françaises et de s’occuper de son unique client qui, à chaque séance, lui suggère des campagnes publicitaires plus saugrenues les unes que les autres.

    Le malheureux va être entraîné dans une histoire d’espionnage quelque peu déjantée avec : Oliver, un écrivain (si peu), américain et directeur d’une revue (très confidentielle), vrai playboy et vrai agent secret ; les inévitables « méchants » très menaçants ; trois musiciens de jazz prêts à faire le coup de feu s’ils sont bien payés et puis… Zoya qui a jeté son dévolu sur lui et avec laquelle il connaît une vraie romance d’amour (où est pris qui croyait prendre).

    Ajoutons, à cela, Elga qui tient à se venger de Zoya qui l’a obligée à fuir chez un vieux prêtre de ses connaissances, dont le frère a, autrefois, été changé en un rat amoureux de Zoya et capable de la retrouver où qu’elle soit, ce qui est utile à la vieille Babayaga pour accomplir ses noirs dessins, tout comme lui est utile sa jeune et nouvelle disciple qui se voit, à cette fin, devoir tenir une poule dans ses bras.

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     Et puis, il y a un savant fou qui a conçu une drogue qui réunit en rêve victime et meurtrier. Un assassinat net et sans bavure, sans témoin et sans indices. Will, capturé, risque bien de servir de cobaye et de passer de vie à trépas, mais – ouf – il sera sauvé juste à temps.

*

    Prenez tous ces éléments, brassez-les et vous obtenez une histoire délirante, pleine de rebondissements, parfois très cocasses, qui ne se prend absolument pas au sérieux et qui est racontée avec beaucoup d’humour, dans un style décontracté. « Babayaga » est, en son genre, un livre unique, une singularité dans le roman policier/d’espionnage, qui réussit à vous rendre attachants des personnages décrits avec beaucoup plus de subtilité qu’il n’y paraît.

  Les chapitres sont séparés par, à chaque fois, un chant de Babayaga assez poétique et véritable reflet de leur existence telle qu’imaginée. C’est, au total, un joyeux divertissement que l’on aimera lire assis au coin du feu par une longue soirée d’hiver, pour peu que l’on admette que le roman peut être, aussi, un récit déjanté à ne prendre au sérieux en aucune façon . Alors, pourquoi ne pas vous laisser tenter ?

Merci, cher Vert Lisant!

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[Lis] A propos du roman « L’Etat Sauvage » de Lalonde: 2) Une analyse, par Le Vert Lisant

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– Analyse.

 

    « A l’Etat Sauvage » est un roman éclaté en sept récits de longueurs inégales qui se succèdent sans ordre chronologique, mais où la dernière histoire sert de conclusion et donne son sens au titre de l’ouvrage. Leur seul point commun en est le personnage central : un romancier. Les (très rares) commentateurs voient dans cet ouvrage l’histoire d’un écrivain en tournée de conférences, tournée qui l’amène à rencontrer des personnages très « typés ». Ce n’est, certes, pas faux, mais je pense qu’il faut aller plus loin et que la clé de ce roman est donnée dès la première page : « Je ne voyageais pas…je fuyais ». Fuir, mais quel ennemi ? C’est ce que cette analyse se propose de découvrir en examinant, un à un, chaque récit.

    C’est la seconde histoire (Marcher la terre) qui éclaire la première. Le romancier constate que des planches de sa galerie sont devenues dangereuses. Renseignements pris, il s’adresse à un menuisier : Hervé. Celui-ci vient d’autant plus volontiers qu’il pense acheter une « terre » proche de celle de l’écrivain. Il remplace les planches défectueuses, mais, au grand étonnement du romancier, il revient le lendemain : son travail n’est pas fini, dit-il, le bois brut doit être poncé jusqu’à être poli, puis teint, puis verni. Peu après, Hervé l’invite chez lui et, là, l’écrivain découvre une demeure « fignolée » à l’extrême, semblable « à l’intérieur d’une de ces maisons de magazine où l’on ne peut s’imaginer…vivre ». Hervé lui confie qu’il va l’abandonner : il a acheté une « terre », ailleurs, avec une cabane où il s’installera. Mais, avant cela, il va partir en tournée : il va faire ses adieux à chaque membre de sa famille.

     On devine que ce perfectionniste recommencera à bâtir une maison qu’il peaufinera pour l’abandonner et partir ailleurs., qu’il ne s’enracinera pas. L’ironie du sort est qu’il meurt écrasé par un tracteur, l’engin d’un « Habitant ».

    **Il convient de déjà noter l’opposition: « bois brut-bois vernis » et « maison sans âme-cabane »

     Le premier récit (La petite goélette rouge à roulette) voit le romancier prendre le traversier qui mène à l’île où résident des amis. C’est, sans leur dire, une visite d’adieu. [même démarche que celle de Hervé]. Sur la plage, il va à la rencontre de leur petit-fils qui a, disent les grands-parents, un jour, cinq ans et, le lendemain, soixante ; c’est une sorte de Confucius, ajoutent-ils, « que notre mode de vie affole ou déçoit » qui aime être sur la grève avec son « bamion » : une goélette rouge qui est à la fois un bateau et un camion, qui aime à ramasser des couteaux, des crevettes et autres macomes, et qui perçoit des images d’évasion, de bateaux, de grottes, de tunnels qui l’appellent vers un monde qu’il devine plus naturel alors qu’il se sent prisonnier de celui-ci.

    **Ici, à nouveau des  contrastes sont manifestes : « six-soixante » ; « langage d’enfant -propos dignes d’un sage » ; « enfant ‘prisonnier’ de l’île-désir de nature et de liberté »

    La troisième partie (Le vent qui ment) le romancier est en tournée de conférences, autant d’occasions pour lui de présenter son livre. Une tournée qui, à cause des intempéries, est prise à rebours. C’est dans une bien petite ville qu’il atterrit. Il découvre que le chauffeur bénévole mis à sa disposition est « Etienne » un ancien condisciple. La conférence ne se donne, et pour cause, que devant une poignée de personnes ; Etienne questionne l’écrivain, à cette occasion : le roman doit-il dire la vérité ; ce dernier acquiesce. Cependant les retrouvailles vont lentement tourner au vinaigre. Etienne rappelle qu’au collège, c’était lui qui écrivait et qui aurait dû devenir romancier. Autre grief : il se retrouve, à plusieurs reprises, dans les romans de l’auteur qui le fait parler beaucoup mieux que lui, dans la réalité. « Vivre vaut mieux qu’écrire » finit par jeter Etienne à la figure de l’écrivain qui se met en rage et, comme deux frères ennemis, ils en viennent aux mains. Après une sorte de réconciliation, Etienne confie au romancier le classeur contenant ses écrits de jeunesse. Ce dernier les brûle dans un baril au fond de la cour du collège, une manière d’effacer la cause de leur différend et parce que ces pages ne sont que littérature c’est-à-dire vaines paroles.

     **La question que l’auteur pose, ici, est : le roman est-il « vrai », est-il ce miroir que l’on promène le long d’un chemin comme l’affirmait Stendhal ? Lalonde voit le roman comme  une œuvre de fiction où le « vrai » cède la place au « vraisemblable », où la vraie vie s’efface devant « l’histoire », c’est pourquoi Etienne du roman n’est plus ce qu’il est « au naturel », avec son existence propre et sa manière de s’exprimer, il est devenu « autre » : un personnage de fiction au langage relevé.

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     Dans la quatrième récit (Devant l’innocence toute neuve), le romancier retrouve  Bérubé Martin dit « le pêcheur » parce qu’il loue des embarcations aux amateurs d’une partie de pêche. Déjà, jeune homme, il exerçait ce métier avec le père de l’écrivain.  « L’affaire » avoue-t-il « c’est de trouver comment accepter ton innocence envolée ». Et de raconter : un soir on frappe énergiquement à leur porte ; c’est une jeune fille de 17 ans qu’ils ont déjà vu rôder tout près de leur hangar. Elle veut savoir combien coûte la location de la chaloupe, de l’attirail de pêche… Après une semaine où, curieusement, ils languissent d’elle, elle revient. Ils font de nombreuses parties de pêche, interrompues par des semaines où elle est absente. Et puis, lors d’une partie, elle se jette à l’eau. Ils vont finir par la retrouver nue, sur un rocher à fleur d’eau. Ils l’emmènent sur la plage et, là, après s’être énergiquement défendue contre leur désir, elle s’enfuit, se sauvant à travers un épais taillis. Ils vont la chercher, en vain, et passer le reste de la nuit comme ayant tout perdu, comme anéantis. Le lendemain soir, elle revient, le visage égratigné et en sang . « On était bien ensemble » dit-elle « mais j’étais une fille et vous des hommes ; on avait oublié cela » et d’ajouter qu’ils pouvaient garder son attirail de pêche parce qu’elle part résider en ville. Elle reviendra, cependant, presque chaque été, mais dit Bérubé : « … c’était plus pareil. Tu comprends, elle était devenue une femme ».

     **L’on retrouve, ici, entre autres, le thème québécois de la ville qui transforme les êtres; la jeune fille « naturelle » et spontanée devient une autre, c’est-à-dire une citadine, une femme qui n’a plus « l’innocence » de l’enfance, tout comme cette dernière a été perdue pour les deux hommes qui ont rompu, par désir, leur pacte d’amitié avec elle.

    Le cinquième volet (Que viens-tu chercher chez les endormis ?) voit le romancier, toujours en tournée, mais en panne de voiture. Il rêvasse quand une voix l’interpelle : « t’es stâllé, on dirait bien ». L’auteur explique à l’homme qu’il est écrivain, qu’on l’attend à l’aréna d’Amos, que c’est une amie, Marielle, qui est à l’origine de sa venue. Bonne surprise, l’homme, Gilles, est mécanicien, Marielle est sa sœur et son garage n’est qu’à deux kilomètres d’ici. Marielle est professeure dans un Cégep (1), elle écrit des poèmes mais ses livres ne se vendent guère. Le romancier abandonne sa voiture aux bons soins de Gilles qui le conduit jusqu’à la porte de l’aréna. Entre deux tasses de thé, Marielle révèle que son frère a enseigné la philosophie pendant une dizaine d’années avant de tout laisser là pour ouvrir son garage…. Le lendemain, Gilles emmène l’écrivain pour une balade, en voiture, dans une route d’abord austère : entre deux rangées d’épinettes puis qui découvre un site magnifique. Mais là n’est pas le but ; ils poursuivent à pied jusqu’à une sorte de tunnel. C’est, là, dit Gilles qu’il veut être enterré.

     **C’est encore une fois, le problème du langage qui sous-tend ce récit. Gilles a abandonné le parler idiomatique de la philosophie non seulement parce qu’il « ne croit plus aux livres », mais surtout pour revenir à une langue populaire, où français et joual se mêlent, parce que cette dernière est naturelle et vraie, qu’elle est celle de tout un chacun. S’il est devenu mécanicien, c’est pour se confronter à des problèmes concrets, loin des abstractions des philosophes, et s’il ne veut pas du cimetière de la ville, c’est parce que celui-ci lui semble « artificiel » et qu’il veut une tombe en pleine nature.

    La sixième partie (Eurêka) voit le romancier prendre le train pour aller n’importe où, pour être ailleurs. Et pourquoi pas à Trois-Pistoles. Va pour Trois-Pistoles. Par chance, il est seul dans son compartiment ; pas tout à fait : un gamin l’aborde, il l’a reconnu, sa mère aime ses livres et ce serait bête d’être seuls, chacun dans un coin. Qui plus est l’écrivain va l’aider à trouver, dans une grille, le « mot mystère » objet d’un concours. L’enfant s’exprime naturellement, repris par l’auteur chaque fois qu’il utilise un mot en joual, et de lui expliquer, aussi, certains termes comme « lacérer, ou de lui citer les cris de divers oiseaux ou encore…. Arrivé à destination, il est accueilli par la mère. Elle donne rapidement son  accord pour qu’ils partent faire une partie de pêche, l’occasion pour le gamin de lui parler de son père qui attrapait le poisson à main nue, « un vrai sauvage », ajoute-t-il, un homme « qui déteste trop les humains pour les peindre. Ils se croient isolés de la nature, les idiots »…. Finalement, le mot mystère est trouvé : « Eurêka ». L’écrivain s’éclipse en catimini, pour reprendre le train, seul cette fois.

      **C’est, une fois de plus, le thème du langage qui revient ici. Au parler populaire de l’enfant, l’auteur n’hésite pas à opposer un français académique, voire pédant. On notera l’indice que l’écrivain donne lorsqu’il fait dire du père qu’il est : « un vrai sauvage » qui rejette ‘l’homme hors de la nature’, autrement dit : le citadin.
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    Septième et dernière partie (That’s a good soldier). C’est le récit le plus court, mais c’est celui qui donne tout son sens à l’œuvre. Le romancier l’avoue, avant de rencontrer Jim Norris, il ne connaissait rien des chevaux. Jim est un descendant d’un « Patriote », d’un de ces colons anglais qui, en 1837, se sont soulevés contre la Grande-Bretagne. Faute d’avoir choisi, il parle un langage où français et anglais s’entrecroisent. Québécois, il est resté « a good soldier », fidèle à son ancêtre. En fait, c’est un paysan, un éleveur de chevaux. Un jour, par un temps de bruine, l’écrivain, en balade s’arrête pour contempler un de ses chevaux, une jument gris pommelé, une bête superbe que la pluie semble illuminer. Sa fascination n’échappe pas à Jim. Les deux hommes font plus ample connaissance et Jim finit par lui proposer une promenade à cheval. L’écrivain accepte, mais la balade tourne mal : il est frappé en pleine figure par une branche. Conduit à l’hôpital, il reste comateux près d’une semaine aux soins intensifs. Jim vient tous les jours lui rendre visite jusqu’à ce qu’il soit tiré d’affaire. C’est alors que Jim avoue avoir vendu la maison de l’écrivain et que la ferme de Jim sera sa maison, et ce, d’autant plus que Jim ayant causé un homicide involontaire part pour un séjour en prison. Le romancier va devoir s’occuper des chevaux : pour chacun « deux ballots de foin par jour ». Il va devoir abandonner son statut de romancier pour celui d’éleveur, il va devoir « recommencer à l’état sauvage. A l’état sauvage… no more no less. »

**

    On l’aura constaté, Lalonde procède par opposition : le gamin « Confucius » et celui qui aspire à une vie plus naturelle ; la maison « de revue » et la cabane en plein champs ; la fiction romanesque et la vérité de la vie ; la jeune fille spontanée et « nature » à la femme citadine ; le langage artificiel de la philosophie et de la poésie à celui naturel des Québécois; l’intellectuel et le manuel occupé à des tâches concrètes, le parler de l’enfant à celui recherché et pédant de l’écrivain, et, enfin, le romancier au paysan. Tout cela nous ramène à la question posée au début : « je fuyais », mais quel ennemi ? L’ennemi, se sont tous les « encombrements » selon les termes de Hervé et d’énumérer : enfants, femme, famille, auquel il faut ajouter : tout ce qui n’est pas vrai et naturel, tout un mode de vie qui éloigne l’homme de la nature.

      A l’Etat Sauvage n’est pas un roman de la terre ni celui de la ville, il participe tout à la fois au mouvement de la révolution tranquille qui, chez certains auteurs, désorganisait le récit et au mouvement post référendum qui vit naître un certain désenchantement. Il appartient plutôt, à mon sens, à la mentalité : « coureur des bois » vivant de liberté et de la nature dont il ne peut se détacher. La modernité, dans ce roman, est vécue comme une aliénation où l’homme « dénaturé » s’oppose à l’homme authentique, au « bon sauvage », en quelque sorte. « A l’Etat Sauvage », en définitive, s’inscrit, en quelque sorte, dans un courant de pensée qui est le fruit des idées développées par Jean-Jacques Rousseau.

 

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     A l’Etat Sauvage est un court roman superbement écrit et où les descriptions de la nature sont remarquables de beauté. Chacun des sept récits révèle une histoire sinon une intrigue prenante. Les quelques expressions et termes en « joual » se comprennent sans trop de difficulté. A tous égards, l’œuvre est attachante. Il est dommage qu’elle soit méconnue hors Québec. En consultant Amazon, je n’y ai vu aucun commentaire à propos de ce livre ; pourquoi n’y écririez-vous pas le vôtre?

 

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(1) Le Cégep (collège d’enseignement général et professionnel), correspond plus ou moins aux deux dernières années de nos humanités. C’est un bâtiment séparé où vont les élèves des différents établissements dits du « secondaire », qui souhaitent poursuivre leurs études. L’enseignement y est donné de manière à préparer les étudiants au mode de vie universitaire.

[Lis] A propos du roman « L’Etat Sauvage » de Lalonde : 1. Une introduction au roman québécois, par Le Vert Lisant

Bibliothèque Nationale du Québec - Photographe: James Dow

Bibliothèque Nationale du Québec – Photographies de  James Dow

 Bonsoir à tous! Je suis très heureuse de vous retrouver aujourd’hui pour vous présenter la première partie de la captivante étude menée par le Vert Lisant à propos du roman québécois… Excellente lecture et à bientôt!


  Pourquoi connaissons-nous si mal le roman québécois ? Pourtant, il suffit de consulter les catalogues des maisons d’édition canadiennes-françaises pour constater qu’il ne manque pas d’œuvres souvent de qualité. Pourquoi est-ce dans la page littéraire du site internet du « Devoir » de Montréal que j’ai découvert ce roman de R. Lalonde et non dans celle d’un quotidien belge ou français. Vraisemblablement, comme le souligne Isabelle Daunais dans : « Le roman sans aventure » parce que :

      … la littérature québécoise se faisait… d’abord pour elle-même et par elle-même , et qu’ainsi, elle se suffit à lui-même (sic) sans rechercher, à tout prix, une reconnaissance internationale

     Elle s’est, en quelque, sorte marginalisée de son propre chef. Et, même lorsque le récit vise à l’universel, il reste le reflet d’une société que, d’ici, nous avons du mal à appréhender.

     Pour mieux comprendre la complexité de l’ouvrage de Robert Lalonde, je crois qu’il est nécessaire, sans prétendre à l’exhaustivité, par la force des choses, de l’inscrire dans l’évolution sociale et littéraire du Québec

  *

 

 

 – Introduction

 

 

     En 1763, la France, préférant garder ses îles productrices du sucre de canne, céda définitivement le Canada à la Grande-Bretagne. A coté d’une population francophone, des migrants anglophones s’installèrent dans une région correspondant, grosso modo, à l’Ontario, si bien que le gouvernement britannique finit par diviser le territoire en Haut Canada et Bas Canada. Des maladresses successives de la part des gouvernements anglais entraînèrent en 1837 un mouvement de révolte, faible chez les anglophones, plus virulent chez les Québécois. Après les avoir réprimés, le gouvernement envoya Lord Durham chargé d’examiner la manière de traiter les Canadiens français. Dans le rapport qu’il fit, il suggéra de fusionner le Haut et le Bas Canada et de « noyer » les Canadiens français dans une large population anglophone d’immigrants. Ainsi, affirma-t-il, ils s’assimileraient, d’autant mieux, qu’il voyait en eux « un peuple ignare, apathique et rétrograde ».

     Les Canadiens français réagirent, en, d’une part, s’accrochant à leurs valeurs : la foi et la langue français et, d’autre part, en s’étendant vers le nord créant un territoire qui se peuplerait grâce à ce que l’on a appelé : « la revanche des berceaux » : des familles nombreuses comptant parfois jusqu’à 8 enfants devaient contrer l’implantation massive de colons anglais. Il n’est donc pas étonnant que le terme qui désigne (et désigne toujours) le fermier est celui de : « habitant ». L’abbé Casgrain en publiant, en 1866, « Le mouvement littéraire au Canada » impulsa la production d’œuvres patriotiques, qui vit naître : le roman de la terre. Comme le souligne Jean-François Tremblay :

 

                          Le roman du terroir, l’idée de fidélité à l’agriculture est, sans cesse, amalgamé à celle de la fidélité à la langue française ainsi qu’aux us et coutumes hérités de la vieille France 

 

    La fin du 19e siècle, vit également, se développer un roman historique puissamment teinté de nationalisme ; il subsista au côté du roman du terroir dont le dernier exemplaire parut, en 1938, avec « Trente arpents » de Ringuet.

     Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, La « terre » céda la place à la « ville ». Alors que jusque-là, le milieu urbain était, dans les œuvres, considéré comme peu attrayant, néfaste ou comme un lieu de perdition, le roman n’éluda plus le fait qu’une grande majorité de Québécois vivait en ville et qu’il existait une population autre que rurale. Ainsi, parut, en 1944, « Au pied de la pente douce » de Lemelin : une chronique paisible des gens d’un faubourg de Québec.

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     Cependant, et jusqu’en 1959, le Québec connut une période de 16 ans sous le gouvernement autoritaire de Duplessis – une période considérée comme celle de la « grande noirceur ». Ces années verront les élites traditionalistes s’opposer aux courants novateurs. Le roman québécois, s’il se met, ainsi, à contester les « valeurs traditionnelles », s’il s’ouvre à l’analyse psychologique, va traduire, aussi, une sorte de repli sur soi (Les chambres de bois de A. Hébert, d’où l’on ne peut s’en sortir qu’en fuyant) ou de pessimisme. Ainsi, Réjean Robidoux note, à propos des romans de A. Langevin, que l’œuvre est marquée par :

               … la solitude ontologique de l’homme. L’unique relation… consiste dans le mal

 

    «  Bonheur d’occasion » (1945) de G. Roy s’inscrit dans ce courant pessimiste. Elle décrit la vie de petites gens de St Henry, un quartier de Montréal, vivant dans un univers commercial et industrialisé, qui les emploie et puis qui les rejette quand ils ne sont plus utiles. « Poussière sur la ville » (1953) de A. Langevin est aussi un roman de l’échec où la ville de Macklin étouffe sous la poussière d’amiante et où Madeleine, l’épouse du docteur Dubois, infidèle à son mari, finira par se suicider.

 

       Autre thème : celui de l’étranger considéré comme une certaine menace contre la « québécitude ». Ainsi, dans « Le survenant » (1945) de G. Guévremont, Voldrichova Berankova remarque :

 

                    Pour le fils et la bru, l’Altérité correspond au contraire à une transgression inadmissible, car l’arrivée de l’étranger dans la famille les a progressivement privés de leurs droits traditionnels. Amable et Alphonsine se sentent tous les deux menacés par le lien de plus en plus fort unissant leur père et le Survenant. Leur réaction ho­stile résulte sans doute de cette peur traditionnelle de l’étranger qui pourrait s’emparer des biens réels ou symboliques des membres d’une communauté.(1)

      En 1960, Jean Lesage met fin aux 16 années de gouvernement Conservateur. Avec lui, débute : la « révolution tranquille ». Il pratique d’importantes réformes économiques et sociales. C’est une époque de rupture où la société se laïcise à grand pas et où le taux de natalité s’effondre brusquement. Cela s’accompagne d’un bouleversement des mentalités avec une forte affirmation de soi en tant que nation distincte, ainsi qu’avec une sorte de révolte contre les conditions économiques dominées par des anglophones (« Nègres blancs d’Amérique » de P. Valière). C’est, aussi, le moment où une nouvelle génération d’écrivains s’inscrivent dans un courant nationaliste. Le roman cesse d’être « canadien-français » pour devenir « québécois ». La tradition est considérée comme un boulet dont on doit, radicalement, se débarrasser. Certains auteurs s’en prennent au français « académique » et opte pour le langage populaire (le joual) ainsi que le préconise G. Godin (dans la revue « Parti pris » de janvier 1965) où il proclame : « … la rédemption du joual est en cours ». D’autres auteurs, peut être sous l’influence du « Nouveau roman », dynamitent et brouillent le récit comme dans « Le libraire » de G. Bessette, ou l’éparpillent en une suite de récits apparemment déconnectés. L’échec du référendum de 1980 (puis celui de 1995) change à nouveau la donne, le roman se dépolitise progressivement, le but de l’auteur n’est plus de créer une littérature « nationale », le français académique fait son retour en grâce, tandis que chez certains se manifeste un certain désenchantement, un certain mal être.

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       C’est, tout à la fois ce mal de vivre qui s’inscrit dans un récit éclaté que l’on retrouve dans : « A l’état sauvage » de Robert Lalonde, ce que nous analyserons par ailleurs.

 

________________________

(1)C’est nous qui soulignons

 

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 *  *

Pour en savoir plus :

 

Bessette. G ; Geslin. L. et Parent. Ch., Histoire de la littérature canadienne-française, Québec, CEC, 1968

Biron. M., Le roman québécois, Montréal, Boréal, 2012

Biron. M ; Dumont. F. ; Nardout-Lafarge. E., Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, 2007

Danais. I., Le roman sans aventure, Montréal, Boréal, 2015

Hayne. David M., Les grandes options de la littérature canadienne-française , in Etudes françaises, vol.1, N°1, 1965, pp 68-89

Hayne. David M. et Tirol. M., Bibliographie critique du roman canadien-français 1831-1900, Toronto, University of Toronto Press, 1968

Robidoux. R. ; Dionne. R. ; Michon. J., Roman de langue française, in Encyclopédie canadienne, 2006

Tremblay, J._F.,  L’agriculturisme et le roman de la terre québécois : (1908-1953), thèse, Chicoutimi, Uqac, 2003

 

Tuchmaier. H., Evolution de la technique du roman canadien-français, Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 1958

Voldrichova Berankova. E ., Identité et altérité dans le roman québécois, Prague, Université de Prague, 2008

[Lis] Le château du lac Tchou-An, Frédéric Lenormand par le Vert Lisant

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J’avoue avoir un faible pour les romans de Lenormand. Ils sont bien écrits et ils sont agréables à lire; de plus, ils présentent, à chaque fois, une intrigue suffisamment adroite que pour soutenir l’intérêt du lecteur. Enfin, bien informé de l’époque où il situe son récit, l’auteur en livre certains aspects tout en ne cédant pas au pédantisme. Je pensais avoir lu tous les romans consacrés au juge Ti, mais celui-ci m’avait échappé et c’est l’un des meilleurs tant l’histoire est habile et le dénouement parfaitement inattendu.

*

Nommé à Pou-Yang, notre juge Ti s’empresse, avec une diligence extrême, de rejoindre sa nouvelle affectation; ses épouses et les impedimenta suivront plus tard. Le voilà embarqué sur un navire qui devient la proie d’un fleuve en crue et déchaîné. Le salut est d’accoster dans le port tout proche d’un petit village. Qui dit village dit aussi auberge où s’abriter. Hélas, c’est une gargote au confort minimal. Comble de malheur, le lendemain, la crue a envahi le rez-de-chaussée et l’un des clients de l’auberge, un représentant en soierie, est découvert assassiné à la porte de l’établissement.

Voilà le juge Ti bien obligé d’enquêter. Et tant qu’à faire, autant s’installer, non loin, dans le château de la famille Tchou, une demeure bâtie dans une vaste propriété entourée d’un lac qui ne déborde jamais grâce, dit-on, à la protection de la « Dame du lac ». Une famille immensément riche, héritière de la fortune mystérieusement acquise par leur ancêtre. La plupart des domestiques ayant été renvoyés dans d’autres domaines, par prudence, la famille vit, donc, avec peu de personnel : une vieille servante, un majordome, un jardinier et un cuisinier, ancien moine, semble-t-il. Ti remarque rapidement que les Tchou sont des gens bizarres : au maigre repas, le mari souligne la simplicité de leur train de vie alors qu’il se met à boire plus que de raison et puis, de se lancer, étrangement, dans un éloge de la beauté des paysages environnants ; madame Tchou porte une robe élégante mais taillée dans l’un des tissus proposés par le défunt représentant ; les deux enfants : un gamin espiègle et une jeune fille habillée en gamine se mettent à chanter, fort bien, mais une chanson de rue ce qui est étonnant pour des enfants dont on a vanté, plus tôt, la haute éducation. Et puis arrive, de manière inopinée, le père du maître de maison, qui balbutie des propos confus dont un étonnant :« Nous sommes tous morts ». Il y a plus ! Visiblement, ses hôtes souhaitent voir le juge plier bagages le plus rapidement possible. Pourquoi donc ??

Cette nuit-là, Ti se lève, en proie a une insomnie ; il voit dans une courette, le cuisinier/moine à genou devant la statue en or de « La dame du lac » à laquelle il demande, à plusieurs reprises, son pardon. Étrange!

Le lendemain, le juge et son fidèle sergent se rendent, en barque, à l’auberge. Il s’agit de prendre un repas digne de ce nom et d’interroger le propriétaire sur son infortuné client. Le tenancier ne livre aucune information utile. L’enquête piétine. Mais c’est l’occasion de voir le majordome conduire, en barque, le vieux Tchou. Il fait, confie-t-on à Ti, sa promenade hebdomadaire : il va déjeuner avec des amis, rendre une visite courtoise à une « femme fleur », puis il va au temple. Interrogé par Ti, le bonze regrette que la si généreuse famille Tchou soit devenue nettement moins assidue. C’est, sans doute, parce qu’elle a un chapelain à demeure, lui suggère le juge. Le moine n’apprécie vraiment pas l’idée d’avoir un concurrent.

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Mais, le juge n’est pas au bout de ses surprises : la demeure lui apparaît de plus en plus négligée et la poussière s’accumule un peu partout ; Tchou, étrangement généreux, lui propose d’emporter tous les objets d’art et ouvrages qui lui plairaient, la jeune Tchou supplie le juge de l’emmener avec lui quand il partira. Et puis le juge surprend une conversation où le majordome reproche à dame Tchou de s’être présentée surchargée de bijoux. Un monde à l’envers!! Enfin, Ti assiste à un étrange spectacle: sur le lac, surgit de la brume la « dame du lac » montée sur un poisson et qui remet une perle au majordome.

Comme si cela ne suffisait pas, voilà que l’on découvre le cadavre du bonze noyé dans la cour du temple. Un examen rapide révèle, cependant, qu’il a été empoisonné. Deuxième meurtre.

Peu après, c’est la vieille servante qui a une attitude étrange: Ti la voit venir alors qu’elle affiche un air particulièrement réjoui, mais arrivée face au juge, la voilà qui, instantanément reprend son attitude d’aïeule renfrognée. Elle, aussi, demande à Ti à pouvoir partir avec lui. La malheureuse!! Le juge la trouvera par après dans les eaux du lac. Troisième meurtre!! Ti a la surprise de découvrir qu’elle a été étranglée, et surtout que ce sont des lingots d’or qui l’ont entraînée au fond de l’eau.

Tout cela le rend terriblement perplexe. Quel sens donner à tous ces faits et attitudes et pourquoi ces meurtres? Que le lecteur, tout aussi intrigué, se rassure : Lenormand a concocté une solution des plus surprenantes grâce à laquelle tout va s’expliquer et devenir cohérent, mais Ti devra, pour cela, se servir d’astuces. L’assassin sera démasqué, bien sûr, à l’occasion d’une mise en scène étonnante.

*

L’œuvre est plaisante, agréable à lire et le récit déconcertant et très intrigant soutient l’attention. L’on n’est pas, ici, dans un « policier » d’investigation ou d’enquête : Ti s’adonne à la réflexion et il finit, ainsi, à relier et donner un sens à « une infinité de détails qui ne collaient pas ». Comme à son habitude Lenormand a recours à de savoureuses réflexions aimablement impertinentes qui font, aussi, le sel du récit. Cela se lit d’une traite et le roman vous fait passer un bon moment de détente. Que demander de plus ?

Merci le Vert Lisant!

[Lis] Je suis lasse des ombres, Alan Bradley par le Vert Lisant

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Et voici, pour notre plus grand plaisir, la quatrième tome des aventures de Flavia, toujours aussi experte en chimie. N’oublions pas Ophélia, qui n’aime tant qu’avoir un admirateur près d’elle – et que dire, quand ils sont plusieurs – ; Daphné de toute éternité le nez plongé dans un livre de Dickens; Dogger, le majordome stylé qui, surgissant du néant, arrive à point nommé. Mais, cette fois-ci, pas de Gladys, la fidèle bicyclette et pour cause: Noël est proche et il neige comme jamais. Ce n’est pas un temps à mettre un pneu dehors. Quant au colonel de Luce, son rôle sera bref, mais décisif.

Flavia est occupée à préparer de la glu qu’elle rend super-collante en y ajoutant une poudre d’elle seule connue. Ses deux chipies de sœurs lui ont prétendu que « le Père Noël, c’est juste une histoire pour les gamines » et elle veut prouver le contraire en le gardant, sur le toit, collé à la cheminée. Elle prépare, aussi, des fusées de feux d’artifices pour la nuit de Noël en faisant de savants mélanges comme elle en a l’habitude.

Mais une mauvaise nouvelle va les surprendre tous: les finances du manoir de Buckshaw étant toujours aussi lamentables et le fisc intransigeant, le colonel de Luce s’est vu contraint de louer une bonne partie de la vénérable demeure à une société de production cinématographique. On va tourner un film dans le respectable manoir de Buckshaw qui se voit rapidement envahi. Arrivent, déjà, les six camions de la production et, illico, les ouvriers rodés à la manœuvre se mettent à installer le matériel. La célèbre et sublime star Phillis Wyvern ne tarde pas à suivre, réprimandant sévèrement son habilleuse Buns Keats éternellement en retard et son souffre douleurs. Elle sera suivie par Lapman, le metteur en scène; par Desmond Ducan, la vedette masculine; puis, par tous les figurants amenés en bus; sans oublier tante Félicité qui n’a pas perdu ses manières de bulldog. Enfin on aperçoit épisodiquement une certaine Marion Trood dont le rôle est mal défini, mais qui semble jouer celui d’assistante.

Ne manquait que le pasteur. Il vient solliciter Miss Wyvern. A peine avait-il expliqué que le toit de l’église était en mauvais état depuis Georges IV, que l’actrice décide « de contribuer à l’effort collectif » de financement. Avec son camarade Duncan, elle jouera une scène de Roméo et Juliette devant les gens du village de Bishop Lecey.

Le lendemain, tante Félicité se plaint de sa voisine de chambre, elle a bien mal dormi : Miss Wyvern, sans discrétion, a passé un de ses films, pendant la nuit. Elle n’est pas la seule à ronchonner: Lapman à demandé à ce que l’on construise un décor avec, bien sûr un balcon, pour le spectacle du soir. Les ouvriers n’ont pas apprécié. En plus, il a fallu engager un électricien du village pour s’occuper du spot qui éclairera ce balcon quand « Juliette » apparaîtra.

Vers 5 heures et demi tout est prêt, le village est réuni pour le spectacle et le pasteur, après un discours, laisse la place aux acteurs. Roméo lance sa tirade mais le spot, en question, ne s’allume pas. L’actrice se précipite et gifle le technicien défaillant. Miss Wyvern ne se fait pas que des amis !!

Enfin, la séance s’achève sans autre drame sauf qu’à présent, avec la tempête, la porte d’entrée du manoir ne s’ouvre que sur un mur de neige et que la ligne téléphonique est morte. Les villageois sont prisonniers, il va falloir que chacun s’installe au mieux pour dormir sur place. Flavia qui ne trouve pas le sommeil, décide d’aller bavarder avec Miss Wyvern (les deux se sont rencontrées autours d’une baignoire et ont sympathisé). C’est pour découvrir l’actrice morte, étranglée, avec un ruban de pellicule noué sur sa gorge et formant une boucle élaborée. Chose étrange, l’actrice est revêtue d’un corsage et d’une jupe identiques à ce qu’elle portait dans le film: « Habillée pour mourir », qu’elle regardait. Il faut prévenir la police. Un courageux, Dieter, chausse des skis et part jusqu’au commissariat. Entre en scène l’éternel inspecteur Hewitt.

Bien évidemment, après quelques rebondissements et grâce à la perspicacité de Flavia le crime ne demeurera pas impuni. Quant à savoir si le Père Noël est resté collé à la cheminée, je ne dirai rien, même sous la torture.

*

On retrouve, dans ce roman, tout ce que l’on aime: les personnages, bien évidemment, fidèles à eux-mêmes, mais surtout le ton: Flavia raconte l’histoire avec une spontanéité un peu naïve, mais mâtinée de bon sens et d’intelligence. Que dire de plus sur un roman que je qualifierais bien de « délicieux », sinon que je l’ai lu avec plaisir et enthousiasme ? Le tome 4 s’achève sur une note sentimentale où il est montré que l’amour est plus fort que l’appât du gain. Un dernier mot: le titre est tiré de « La dame de Shalott », un poème de Tennyson où l’on peut lire : « Mais dans sa toile, elle aimait à tisser les scènes magiques jouées en miroir », n’est-ce pas là les apparences du cinéma qui, sur l’écran est jeu de lumières et d’ombres.

Merci, le Vert Lisant!